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CASTROLEONE

di Camille Jacob Ferrier (1831-1906)

La voix de la Baronne s'éleva dans le grand silence:

– Polydoro Duni – dit-elle – parle, que demandes-tu?

– Excellence – dit-il, et sa voix tremblait d'une émotion profonde – Excellence, vous êtes bonne et juste, je recours à vous en toute confiance! Ces gens – et il désignait ses adversaires – veulent me prendre mon enfant, ma fille bien-aimée; vous me la rendrez, Excellence, vous ne laisserez pas consommer cet infàme crime!

La Baronne était devenue pâle, une agitation convulsive semblait s'emparer d'elle...

– Et toi – dit-elle – tu veux enlever cette enfant à sa mère! C'est une chose terrible! Quels sont tes droits pour faire une telle demande? Parle, je t'écoute...

– Excellence – reprit le plaignant – mes droits sont les plus sacrés qu'il y ait au monde. Je suis le père de cette enfant, je l'aime plus que ma vie, mais j'aimeiras mieux la savoir morte que de laisser aux mains de ces deux misérables!

– Assez, – interrompit la Baronne, d'un ton dur. – Dieu, que de mots inutiles! Une fois pour toutes, quel crime a commis cette mère pour qu'il faille lui arracher son enfant? Que s'est-il passé? Explique-toi et sois bref, sinon...

Elle l'étreignait de son ardent regard. Dans son âpre impatience, on eût dit qu'elle voulait tout savoir sans lui donner le temps de parler...

– Voici ce qui s'est passé, Excellence, et vous pourrez juger si jamais un père s'est trouvé dans une position aussi terrible! Je suis de Capracotta, et j'en suis parti à quinze ans pour tâcher de faire fortune. A Naples, j'ai trouvé du travail, la Sainte-Vierge a béni mes efforts, et au bout de vingt ans de dur labeur, j'ai pu me retirer dans ma ville natale pour jouir d'un repos que j'ai bien gagné. Pendant mon séjour à Naples, j'ai fait connaissance de cette femme – et du doigt il désignait son adversaire – et je l'ai eue pour maîtresse. Elle servait dans une auberge et n'était pas meilleure qu'une autre, mais, que voulez-vous, on est jeune et on ne pense pas aux conséquences! Elle m'a donné cette enfant, ma Clélia, ma fille adorée; voyez comme elle me ressemble! Nous avons vécu quinze ans ensemble, à Naples d'abord, puis à Capracotta, quand je suis venu m'y retirer. Je croyais qu'elle m'aimait, cette femme, tout au moins qu'elle ne voudrait pas briser le cœur du père de son enfant! Eh bien, voici ce qu'elle a fait. Il y a huit mois, j'ai dû faire un voyage, aller à Naples d'abord, puis à Barcelone, pour des affaires d'argent. Quand je suis revenu, tout heureux de revoir celles que j'appelais ma femme et mon enfant chérie, j'ai trouvé le logis vide! L'infâme avait fui; elle s'était donnée à un autre, à ce misérable qui est là, son complice! Après quinze ans de vie commune, pendant lesquels je l'ai aimée et traitée comme si elle eût été ma vraie femme, c'était dur! Surtout pour me préférer ce drôle qui a fait tous les vilains métiers, à Foggia, à Bénévent, à Naples! Et tout le monde le sait! Qu'il ne nie pas, j'aurais des centaines de tèmoins qui l'attesteront! Mais n'importe, je lui aurais pardonné, je n'aurais plus pensé à elle; mauvaise elle a été, mauvaise elle redevient, c'est dans l'ordre et tant pis pour elle! Mais le crime, l'infamie, c'est de m'enlever mon enfant, de me priver de la voir, de l'empêcher de m'aimer; ma Clélia, elle sait bien que je suis son père, que je l'aime, moi aussi, qu'on ne peut pas nous séparer comme si j'étais un misérable, sans affection, sans famille, un chien, une bète brute enfin! Et ce n'est pas tout, ce n'est rien même, cela, auprès de ce qui me menace! Je supporterais encore d'être privé de mon enfant, si je devais la savoir heureuse, si son bonheur dépendait du sacrifice du mien! Mais c'est absolument le contraire: la voilà livrée aux mains de ces deux infàmes; ils l’ont emmenée à Isernia; là, ils ont vivre dans la misère, dans le désordre, dans l'ignominie, car ils n'ont rien ni l'un ni l'autre, et ne savent, ni ne veulent travailler à quoi que ce soit d'honnête!

  • C. J. Ferrier, Castroleone. Roman à l'ancienne mode, Kündig, Genève 1904, pp. 229-231.

Note:

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